Rubin dévoilera les archives fossiles de l’évolution des amas de galaxies

Le télescope à déplacement rapide et l’énorme caméra numérique de l’observatoire Vera C. Rubin captureront la faible lueur des étoiles flottant librement dans les amas de galaxies, apportant un éclairage sans précédent sur l’évolution de ces structures dynamiques.

La lumière intra-amas, l’éclat collectif d’innombrables étoiles arrachées à leur galaxie d’origine et laissées à l’abandon dans le vaste espace intergalactique, est incroyablement faible et difficile à détecter. Le prochain relevé LSST sera le premier à fournir aux scientifiques les données pour détecter la lumière intra-amas dans des milliers d’amas de galaxies, révélant ainsi des indices sur l’histoire de l’évolution de l’Univers sur de grandes échelles.

Les galaxies, comme notre Voie lactée, sont des collections de milliards d’étoiles maintenues ensemble par la gravité. Parfois, les galaxies se regroupent en amas contenant des centaines, voire des milliers de galaxies. Ces amas de galaxies sont les plus grands objets de l’Univers qui sont maintenus ensemble par leur propre gravité et il leur faut des milliards d’années pour se former et évoluer. Si nous pouvions, d’une manière ou d’une autre, regarder leur évolution en accéléré, les interactions spectaculaires entre les galaxies seraient fascinantes. Mais il existe un moyen de lire l’histoire des amas de galaxies grâce à  la population d’étoiles qui ont été arrachées à leurs galaxies d’origine et éparpillées dans les espaces entre les galaxies de l’amas. Ces étoiles émettent une lueur appelée lumière intra-amas, qui est au moins 1000 fois plus faible que le ciel nocturne le plus sombre que nous puissions percevoir avec nos yeux. En raison de sa faible luminosité, la lumière intra-amas est restée en grande partie cachée des télescopes et des caméras existantes. Mais grâce aux données du LSST de l’Observatoire Vera C. Rubin, qui débutera en 2025, les scientifiques seront en mesure d’observer cette lumière extrêmement faible comme jamais auparavant.

Au fil des millions d’années, lorsque les galaxies entrent en collision et fusionnent, la lumière intra-amas constitue un « registre fossile » des interactions dynamiques qu’un amas de galaxies a connues, offrant une mine d’informations sur la formation des amas et l’histoire de l’Univers à grande échelle. 

« Les étoiles arrachées à leurs galaxies finissent par peupler l’espace entre les galaxies d’un amas. Ces étoiles sont comme la poussière libérée d’un morceau de craie lorsque vous écrivez sur un tableau noir », explique Mireia Montes, chargée de recherche à l’Instituto de Astrofísica de Canarias et membre de la Rubin/LSST Galaxies Science Collaboration (collaboration scientifique Rubin/LSST sur les galaxies). « En suivant la poussière de craie stellaire avec Rubin, nous espérons pouvoir lire les mots sur le tableau noir des amas de galaxies. » 

Combien d’étoiles flottent librement au sein des amas de galaxies ? Comment sont-elles réparties dans les amas ? Les réponses à ces questions ne sont pas bien connues, car la lumière intra-amas a été très difficile à étudier jusqu’à présent. « Il y a tellement de choses que nous ne savons pas sur la lumière intra-amas », dit Mireia Montes. « L’intérêt de Rubin est qu’il va nous fournir de nombreux amas de galaxies que nous pourrons explorer. »

En plus d’étudier la lumière intra-amas pour obtenir des indices sur l’histoire des amas de galaxies, les scientifiques peuvent également l’utiliser pour mieux comprendre la substance insaisissable connue sous le nom de matière noire – une matière invisible qui n’émet ni ne réfléchit la lumière et qui se trouve en forte concentration au sein des amas de galaxies. 

Rubin scrutera l’ensemble du ciel de l’hémisphère sud toutes les 3-4 nuits pendant dix ans à l’aide de la plus grande caméra numérique au monde, révélant la lumière intra-amas que, jusqu’à présent, les astronomes n’ont pu détecter que par des observations longues et ciblées d’un seul amas de galaxies à la fois. Au cours des dix années que durera le relevé, Rubin prendra des millions d’images haute résolution d’amas de galaxies lointains et les scientifiques seront en mesure d’empiler ces images pour obtenir les plus grandes images à très longue exposition jamais créées du ciel de l’hémisphère sud. Les images empilées donneront aux scientifiques plus d’amas de galaxies dont la lumière intra-amas est détectable dans chaque champ de vision qu’ils n’en ont eu au total jusqu’à présent. Ainsi, Rubin élargira le nombre d’amas de galaxies que nous pouvons étudier de quelques uns à des milliers, ce qui permettra à des chercheuses et chercheurs comme Mireia Montes d’analyser la faible lueur de la lumière intra-amas dans l’ensemble de l’Univers.

De l’évolution des amas de galaxies à la distribution de la matière noire, la lumière intra-amas fournit des indices importants sur la façon dont la structure à grande échelle de l’Univers s’est formée. « La lumière intra-amas peut sembler très petite et insignifiante, mais elle a de nombreuses implications », explique Mireia Montes. « Elle complète ce que nous savons déjà et ouvre de nouvelles fenêtres sur l’histoire de notre Univers. »

En France, une vingtaine de chercheurs et chercheuses étudieront les amas de galaxies à partir du relevé LSST. « Avec pour objectif principal de mieux comprendre les grandes structures de l’Univers »  précise Marina Ricci, chercheuse en cosmologie observatoire à l’APC (CNRS, Université Paris Cité) et coordinatrice des recherches sur les amas de galaxies au sein de la collaboration Rubin LSST France. « Plusieurs groupes s’intéressent particulièrement aux méthodes de détection des amas et à la mesure de leur masse par effet de lentillage gravitationnel1. » 

Ces mesures nécessitent de mesurer avec grande précision la forme et la brillance des galaxies autour des amas. De plus, « pour pouvoir détecter les signaux diffus très faibles captés par LSST, comme la lumière intra-amas, on va devoir tester très finement nos méthodes de détection du signal et d’analyse d’images » explique Marina Ricci, « LSST va nous permettre de mieux comprendre la manière dont la matière noire, les galaxies et les étoiles évoluent ensemble au sein des amas. »

Passionnée par ces grandes structures, Marina Ricci rappelle que « les amas de galaxies sont les objets les plus massifs de l’Univers, mais aussi des objets extrêmement complexes. Ils sont très intéressants car ils nous permettent d’étudier de nombreux phénomènes astrophysiques. »

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© RubinObs/NOIRLab/NSF/AURA/H. Stockebrand

L’Observatoire Rubin est une initiative conjointe de la National Science Foundation (NSF) et du Department of Energy (DOE) des États-Unis. Sa mission principale est de réaliser le relevé LSST, en fournissant un ensemble de données sans précédent pour la recherche scientifique soutenue par les deux agences. Rubin est exploité conjointement par le NOIRLab de la NSF et le SLAC National Accelerator Laboratory (SLAC). NOIRLab est géré pour la NSF par l’Association des universités pour la recherche en astronomie (AURA) et SLAC est géré pour le DOE par l’Université de Stanford.

La France, au travers l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS, est partie prenante du projet. Hormis les groupes de recherche (allant de la théorie à l’analyse de données en passant par l’instrumentation), l’IN2P3 participe également au développement et à la construction de divers sous-systèmes de la caméra de l’observatoire Rubin et au système de traitement des images. Au total, neuf laboratoires de l’Institut et le centre de calcul sont directement impliqués dans ce projet, incluant une variété de profils (recherche, ingénierie, technique, administration) et une diversité de métiers (en mécanique, électronique ou encore informatique). L’IN2P3 est notamment partie prenante de la collaboration scientifique LSST DESC qui effectuera des mesures de haute précision des paramètres cosmologiques fondamentaux à l’aide des données LSST. 

Liens utiles :

Contacts :

  • Marina Ricci, chercheuse en cosmologie au laboratoire APC – ricci@apc.in2p3.fr
  • Gaëlle Shifrin, responsable communication Rubin LSST France – gshifrin@in2p3.fr
  1. La lentille gravitationnelle se produit lorsqu’un corps céleste massif, tel qu’un amas de galaxies, provoque une courbure suffisante de l’espace-temps pour que le trajet de la lumière autour de lui soit visiblement courbé, comme par une lentille.  ↩︎