L’Observatoire Vera Rubin franchit une étape clé avec l’installation de la caméra LSST sur son télescope. La mise en place du dernier composant optique marque l’entrée dans la phase finale des tests. Prochaine étape : la capture des premières lumières, avant le lancement du relevé LSST (Legacy Survey of Space and Time). Équipé de la plus grande caméra numérique jamais conçue, Rubin s’apprête à collecter un volume de données sans précédent sur l’univers visible, surpassant celui de tout autre observatoire au monde.
Début mars, l’équipe de l’Observatoire Vera Rubin, situé sur le Cerro Pachón au Chili, a installé avec succès sur le télescope Simonyi l’imposante caméra LSST, dont la taille est comparable à celle d’une voiture. Cette étape majeure couronne deux décennies de conception, de construction et de transport de la caméra jusqu’au Chili. Pour Rubin, elle marque également l’entrée dans la phase finale des tests, avec comme prochaines étapes, la publication des images des premières lumières, puis le lancement, fin 2025, du Legacy Survey of Space and Time (LSST) le grand relevé astronomique du ciel austral qui doit s’étaler sur 10 ans.
La caméra LSST installée (mars 2025)Image : RubinObs/NOIRLab/SLAC/NSF/DOE/AURA/B. Quint
Assemblée au laboratoire de SLAC en Californie, la caméra LSST intègre une technologie de pointe pour offrir une vue sans précédent du ciel nocturne. Achevée en avril 2024, elle a été transportée au Chili dans le cadre d’une opération méticuleusement coordonnée pour garantir son arrivée en toute sécurité à l’Observatoire Rubin.
Avec ses 3200 mégapixels et un poids de plus de 3 tonnes, la caméra LSST est la plus grande caméra numérique jamais construite. Elle intègre notamment un système de changeur de filtres inédit, qui stocke et place alternativement devant l’objectif, avec une précision au dixième de millimètre, cinq grands filtres optiques de 75 cm de diamètre et de 40 kilo chacun. La réalisation de cet élément a été confiée aux équipes des laboratoires français de CNRS Nucléaire & Particules, qui ont été récompensées pour cela en 2024 d’un cristal collectif du CNRS. Le changeur de filtres occupe une place centrale dans le système optique de l’Observatoire Rubin, aux côtés des miroirs primaire/tertiaire combinés de 8,4 mètres et du miroir secondaire de 3,5 mètres.
Grâce à la caméra LSST, l’Observatoire Rubin observera le ciel nocturne austral de façon répétée pendant une décennie, créant un enregistrement accéléré, ultra-large et en très haute définition de l’Univers. Ce relevé donnera vie au ciel nocturne et ouvrira la voie à de nombreuses découvertes dans notre univers proche (astéroïdes, comètes, étoiles pulsantes, explosions d’étoiles), comme dans l’univers lointain avec la découverte de millions de nouvelles galaxies.
Les données recueillies par Rubin seront stockées à raison de 20 téraoctets par nuit. En France le centre de CC-IN2P3 à Lyon contribuera à leur stockage et à leur traitement. Ces données seront mises, à intervalles réguliers, à la disposition des scientifiques du monde entier, favorisant des découvertes révolutionnaires et des avancées majeures sur les décennies à venir. Elles contribueront à mieux comprendre l’Univers, à retracer son évolution, à percer les mystères de l’énergie noire et de la matière noire, et à répondre à des questions que nous n’avons pas encore imaginées.
Dans les semaines à venir, les différents éléments de la caméra LSST et les autres systèmes seront connectés et testés. Puis suivra sur plusieurs mois la phase essentielle du commissioning, pendant laquelle scientifiques et technicien·nes travailleront ensemble afin de procéder aux derniers réglages du système désormais complet. Bientôt, la caméra capturera ses premières images détaillées du ciel nocturne — chacune si vaste qu’il faudrait un mur de 400 écrans de télévision ultra-haute définition pour les afficher.
Principales étapes de la construction et de la mise en service de l’observatoire Rubin en vue de la première observation du télescope. L’installation de la caméra LSST s’est achevée début mars 2025.Crédit : RubinObs/NOIRLab/SLAC/NSF/DOE/AURA/J. Pinto, traduction : CNRS Nucléaire & Particules
Après neuf ans de construction, l’observatoire Vera C. Rubin est à quelques mois du démarrage de sa mission de 10 ans au cours de laquelle il doit produire un film sur l’évolution fine de notre ciel nocturne et des profondeurs du cosmos à l’échelle d’un hémisphère entier. Pour préparer cette production monumentale, l’observatoire vient d’achever avec succès une série de tests complets du système d’observation au moyen d’une caméra d’essai technique (ComCam), qui marque le feu vert de la dernière étape de la construction de Rubin : l’installation de la caméra LSST de 3200 mégapixels (LSSTCam), le plus grand appareil photo numérique au monde.
La caméra de test, ou caméra de mise en service (ComCam), comporte une mosaïque de neuf capteurs CCD avec un total de 144 mégapixels, couvrant une surface près de deux fois plus grande qu’une pleine lune. Pendant les sept semaines de la campagne de tests techniques de la ComCam, du 24 octobre au 11 décembre 2024, environ 16 000 prises de vues ont été réalisées pour tester les systèmes matériels et logiciels de l’Observatoire Rubin, ainsi que le pipeline de traitement des images.
La ComCam est une version beaucoup plus petite de la caméra finale, la LSSTCam, qui viendra prochainement prendre sa place à bord du télescope pour mener à bien l’étude décennale de Rubin sur l’espace et le temps (Legacy Survey of Space and Time). Avec 189 capteurs CCD, le champ de vision de la LSSTCam sera 21 fois plus grand que celui de la ComCam, capturant une zone du ciel équivalente à 45 pleines lunes. Couplée au télescope rapide de 8,4 mètres de Rubin, LSSTCam pourra capturer avec une célérité inédite des objets très peu lumineux ou encore des objets qui changent de position ou de luminosité.
Les tests effectués par l’équipe internationale de mise en service de Rubin, composée de centaines d’ingénieurs, de scientifiques et de spécialistes de l’observation, visaient notamment à vérifier le système d’optique active qui maintient la forme précise des trois énormes miroirs quel que soit la direction dans laquelle pointe le télescope ; à vérifier que les systèmes complexes du télescope fonctionnaient correctement tous ensemble ; à réaliser une première vérification de la capacité du système à produire des images de qualité avec les six filtres ; à transférer la grande quantité de données générées du Chili au centre de calcul de SLAC ; et à faire fonctionner les pipelines de traitement des données.
Une comparaison de l’aire couverte par la caméra d’essai (carrés noirs au centre) et l’aire que couvrira la caméra de LSST (ensemble de la grille). Crédits : RubinObs/NOIRLab/SLAC/NSF/DOE/AURA
L’observatoire Rubin (qui comprend le télescope, la caméra, les systèmes de données, les réseaux et le personnel) s’est montré exceptionnellement performant pendant cette phase de test, fournissant des images de haute qualité dès les premières heures alors même que la plupart des réglages optiques fins et des contrôles environnementaux n’étaient pas encore totalement activés. Cette performance tient au fait que toutes les pièce complexes de ce gigantesque télescope ont été réalisées et positionnées au millimètre près témoignant ainsi des efforts et du talent de milliers de personnes mobilisées pendant de nombreuses années sur sa construction. Tout aussi satisfaisant, le réseau à haut débit reliant le Chili et le centre de données du SLAC, les systèmes de données et les algorithmes d’analyse des données ont également fonctionné sans encombre.« Le succès de cette phase d’essai technique a suscité un élan d’enthousiasme et fait naître une vraie attente au sein de l`équipe », a déclaré Sandrine Thomas, directrice associée de l’Observatoire Rubin et responsable des opérations au sommet de l’Observatoire. « Le franchissement de cette étape a donné un petit avant-goût de ce qui nous attend lorsque l’Observatoire Rubin entamera son relevé pour 10 ans ».
Les prochains mois seront consacrés à l’installation de la caméra LSSTCam, l’une des dernières étapes importantes du voyage vers le « First Look », lorsque les images de l’ensemble de l’Observatoire Rubin seront partagées avec le monde entier pour la première fois. Ensuite, après la phase finale de test et de vérification de l’ensemble du système, l’Observatoire Rubin entamera la mission de collecte de données la plus complète de l’histoire de l’astrophysique.En balayant de manière répétée l’ensemble du ciel nocturne austral pendant une décennie, Rubin créera un enregistrement chronologique ultra-large et ultra-haute définition de l’évolution de notre cosmos. Il s’agira du plus grand film jamais réalisé sur l’Univers, qui donnera vie au ciel nocturne et permettra de faire de nombreuses découvertes : astéroïdes et comètes, étoiles pulsantes, explosions de supernova, et bien d’autres choses encore. Grâce aux données Rubin, nous comprendrons mieux notre Univers, nous ferons la chronique de son évolution avec des détails sans précédent, nous plongerons dans les mystères de l’énergie noire et de la matière noire et nous apporterons des réponses à des questions que nous n’avons pas encore imaginées.
Après le succès des test effectués durant 3 mois avec la caméra d’essai ComCam, l’observatoire Rubin va pouvoir procéder à l’installation de la caméra définitive, dont la mise en route devrait être effective au printemps. S’ensuivra cet été l’étape de la première lumière, lorsque le dôme qui abrite le télescope s’ouvrira enfin sur le ciel étoilé de l’hémisphère sud. Crédit : RubinObs/NOIRLab/SLAC/NSF/DOE/AURA/J. Pinto
La collaboration LSST
L’Observatoire Rubin est une initiative conjointe de la National Science Foundation (NSF) et du Department of Energy (DOE) des États-Unis. Sa mission principale est de mettre en œuvre le projet LSST (Legacy Survey of Space and Time), en fournissant un ensemble de données sans précédent à la recherche scientifique.
L’IN2P3 apporte un soutien essentiel à la construction et à l’exploitation de l’Observatoire Rubin à travers ses laboratoires APC, CPPM, IJCLab, IP2I, LAPP, LPCA, LPNHE, LPSC, LUPM, et le CC-IN2P3. L’institut contribue, entre autres, au développement de l’électronique de lecture et des capteurs de la caméra du télescope, à la réalisation du système de changeurs de filtres de la caméra, tandis que le centre de calcul participe au traitement et au stockage des données.
L’observatoire Vera C. Rubin captera la faible lumière des naines brunes lointaines pour aider les scientifiques à comprendre la formation et l’évolution de la Voie lactée. Trop grandes pour être des planètes mais trop petites pour être des étoiles, les naines brunes lointaines sont un ingrédient-clé pour comprendre l’histoire de la Voie lactée. Le relevé LSST (Legacy Survey of Space and Time) de l’observatoire Vera C. Rubin détectera une population d’anciennes naines brunes environ 20 fois plus grandes que celles observées jusqu’à présent, révélant les processus qui ont façonné notre galaxie.
On pourrait dire que les naines brunes ne sont pas estimées à leur juste valeur. Parfois appelées « étoiles ratées », elles n’ont pas une masse suffisante pour entretenir la fusion nucléaire qui alimente toutes les étoiles, y compris notre soleil. Mais elles sont également trop grosses pour être considérées comme des planètes, certaines ayant une masse 75 fois supérieure à celle de Jupiter. Bien qu’elles n’entrent dans aucune de ces deux catégories, les naines brunes donnent d’importants indices sur les processus de formation de la Voie lactée. L’observatoire Vera C. Rubin, financé conjointement par la National Science Foundation (NSF) et l’Office of Science du Département américain de l’énergie (DOE/SC), révèlera bientôt une population inédite de naines brunes au-delà du Soleil, donnant aux scientifiques davantage d’outils pour cartographier l’histoire et l’évolution de notre galaxie.
« Les naines brunes sont des objets étranges qui défient toute classification« , explique Aaron Meisner, astronome associé au NSF NOIRLab et membre de l’équipe Community Science de Rubin. En plus d’être plus petites que les étoiles, les naines brunes sont beaucoup plus froides, avec des températures de surface allant de 0 à 2000 degrés Celsius. Cela signifie qu’elles ne produisent pas beaucoup de lumière dans le spectre visible, ce qui les rend difficiles à détecter avec des télescopes optiques. « Il est possible que nous nagions dans un océan d’objets très peu lumineux et difficiles à voir« , a déclaré Aaron Meisner.
Les mêmes caractéristiques qui rendent les naines brunes inhabituelles et insaisissables en font également d’excellentes candidates pour aider les scientifiques à comprendre la formation et l’évolution de la Voie lactée, fortement influencée par des fusions avec des galaxies plus petites et proches. En effet, les naines brunes ont une durée de vie plus longue que les étoiles plus grandes et plus chaudes au point que les plus lointaines d’entre elles (c’est-à-dire celles qui se sont formées au début de l’Univers) existent toujours, sont en grande partie inchangées et contiennent des informations précieuses sur l’origine de la Voie lactée. En étudiant les propriétés de ces anciennes naines brunes, les scientifiques pourront ainsi remonter jusqu’à leur galaxie d’origine et révéler tout changement dans la formation des étoiles de la Voie lactée au cours du temps cosmique.
Pendant dix ans, à partir de la fin de 2025, le télescope Simonyi Survey de Rubin scrutera le ciel depuis le Cerro Pachón au Chili. Rubin capturera des images larges et détaillées à l’aide de la caméra LSST, la plus grande caméra numérique du monde, et couvrira l’ensemble du ciel visible toutes les 3-4 nuits. Les six filtres de la caméra de Rubin diffuseront la lumière à partir d’une large gamme de longueurs d’onde optiques, jusqu’à l’infrarouge proche. Sa capacité à observer dans le proche infrarouge, combinée à son large champ de vision et à sa capacité à voir loin dans l’espace, fera de Rubin un puissant détecteur d’objets peu lumineux qui émettent principalement de la lumière infrarouge, comme les naines brunes. Christian Aganze, chercheur postdoctoral à l’Université de Stanford, a récemment réalisé des prédictions détaillées sur les naines brunes lointaines que Rubin pourra observer.
Rubin capturera la lumière de naines brunes situées à des distances bien plus grandes que les précédents relevés en lumière visible. Les relevés optiques existants, tels que Pan-STARRS et Sloan Digital Sky Survey nous ont surtout permis de découvrir des naines brunes relativement proches. « Les relevés actuels vont jusqu’à une distance d’environ 150 années-lumière du Soleil pour les naines brunes anciennes dans le halo de la Voie lactée« , a déclaré Aaron Meisner. « Mais Rubin sera capable de voir plus de trois fois plus loin que cela. » Cette augmentation de la distance signifie une augmentation encore plus importante du volume total d’espace observable afin de trouver et d’étudier ces naines brunes, offrant ainsi aux scientifiques le plus grand échantillon de ces objets peu lumineux qu’ils n’aient jamais eu.
Les chercheurs comme Aaron Meisner espèrent trouver suffisamment de naines brunes lointaines pour les étudier à l’échelle d’une population plutôt qu’individuellement afin de pouvoir comparer les propriétés de différents sous-groupes et de rechercher des modèles dans la façon dont elles sont distribuées.
« Rubin révèlera une population d’anciennes naines brunes environ vingt fois plus importante que ce que nous avons vu jusqu’à présent », explique Aaron Meisner. « Cela nous permettra de déchiffrer de quels morceaux de sous-structure galactique proviennent les différentes naines brunes et de faire des progrès majeurs dans notre compréhension de la façon dont les populations de la Voie lactée se sont formées.«
La plus grande caméra jamais construite pour l’astrophysique a achevé son long voyage depuis le SLAC National Accelerator Laboratory en Californie jusqu’au sommet du Cerro Pachón au Chili, où elle contribuera bientôt à percer les mystères de l’Univers.
La caméra LSST de 3200 mégapixels, l’instrument révolutionnaire au cœur de l’Observatoire Rubin, est arrivée sur le site de l’observatoire, sur le mont Cerro Pachón, au Chili. La caméra LSST est financée par le département américain de l’énergie (DOE) et l’Observatoire Rubin est financé par la National Science Foundation (NSF) et le DOE des États-Unis. Lorsque Rubin commencera le Legacy Survey of Space and Time (LSST) à la fin de 2025, la caméra du LSST prendra des images détaillées du ciel de l’hémisphère sud pendant 10 ans, construisant ainsi la vue chronologique la plus complète de notre Univers que nous ayons jamais vue. « L’arrivée de la caméra LSST au Chili nous rapproche considérablement de la science qui répondra aux questions les plus cruciales de l’astrophysique« , a déclaré Kathy Turner, responsable du programme de l’observatoire Rubin au ministère de l’énergie.
La caméra LSST, la plus grande caméra numérique au monde, a été construite au SLAC National Accelerator Laboratory à Menlo Park, en Californie, et son achèvement après deux décennies de travail a été annoncé par le SLAC au début du mois d’avril. Cette caméra incroyablement sensible sera bientôt installée sur le Simonyi Survey Telescope de l’Observatoire Rubin où elle produira des images détaillées avec un champ de vision sept fois plus large que celui de la pleine lune. Grâce à la caméra LSST, l’observatoire Rubin contribuera aux progrès – et à de nouvelles découvertes – dans de nombreux domaines scientifiques, notamment l’exploration de la nature de la matière noire et de l’énergie noire, la cartographie de la Voie lactée, l’étude de notre système solaire et l’étude des objets célestes qui changent de luminosité ou de position. « Amener la caméra au sommet était la dernière pièce majeure du puzzle« , a déclaré Victor Krabbendam, chef de projet de l’observatoire Rubin. « Avec tous les composants de Rubin physiquement sur place, nous sommes sur la dernière ligne droite vers une science révolutionnaire avec le LSST« .
L’équipe chargée de la caméra LSST au SLAC a piloté le processus de transport de la caméra (de la taille d’une voiture) de la Californie au Chili. Elle a commencé par l’installer sur un cadre d’expédition personnalisé et l’a enveloppée dans un matériau plastique à décharge électrostatique pour la protéger de l’humidité. À l’aide d’un pont roulant, l’équipe a installé le cadre dans un conteneur d’expédition de 6 mètres de long dont les parois et le plafond ont été isolés pour éviter qu’elle ne surchauffe, et de matériel permettant de fixer solidement le cadre d’expédition directement aux traverses métalliques du plancher. Le conteneur d’expédition a également été équipé d’enregistreurs de données, à la fois sur le cadre de la caméra et sur le conteneur lui-même, afin de surveiller la température, l’humidité, les vibrations et les accélérations tout au long du voyage. Un système de suivi GPS a été installé sur le conteneur afin que l’équipe puisse localiser avec précision la caméra à tout moment du voyage.
Tout au long du trajet, l’équipe de la caméra LSST a respecté un plan d’expédition méticuleusement préparé, chaque décision décrite dans le plan visait à réduire les risques potentiels pour la caméra dont le coût s’élève à 168 millions de dollars. L’équipe a également bénéficié d’une répétition générale en 2021 lorsque le simulateur de masse de la caméra, une structure en acier utilisée pour tester et équilibrer la monture du télescope, a été expédié au Chili. Le simulateur de masse était également équipé d’enregistreurs de données afin que l’équipe connaisse exactement les conditions rencontrées au cours de son voyage et puisse en tenir compte lors de la planification de la vraie caméra. « Le transport d’une pièce d’équipement aussi délicate à travers le monde comporte de nombreux risques. Avec dix longues années de travail d’assemblage sur la caméra, culminant avec un vol de dix heures et une route de terre sinueuse en haut d’une montagne, il était important de bien faire les choses« , a déclaré Margaux Lopez, ingénieure en mécanique au SLAC, qui a dirigé la planification de l’expédition de la caméra. « Mais comme nous avions l’expérience et les données de l’expédition test, nous étions extrêmement confiants dans notre capacité à assurer la sécurité de la caméra« .
En sécurité dans son conteneur, la caméra LSST a été transportée dans un véhicule équipé d’un système de transport aérien jusqu’à l’aéroport de San Francisco le matin du 14 mai pour un vol affrété à destination du Chili. Là, elle a rejoint six autres camions contenant le système de remplacement du filtre de la caméra et d’autres équipements auxiliaires qui avaient voyagé la veille. Une fois la caméra soigneusement chargée dans l’avion cargo 747, deux membres de l’équipe sont montés à bord et se sont installés dans leur siège pour les 10 heures de vol vers le Chili. « Le fait d’avoir deux ingénieurs dans l’avion était essentiel pour le chargement et le déchargement« , a déclaré Travis Lange, chef de projet de la caméra LSST. « L’ensemble du processus a également été incroyablement excitant !«
L’avion a atterri à l’aéroport Arturo Merino Benítez de Santiago, l’aéroport le plus proche de l’observatoire pouvant accueillir un avion cargo de cette taille, à 4h10 le 15 mai. Le conteneur de la caméra a été chargé dans son propre véhicule de transport, l’un des neuf camions qui ont roulé en un lent convoi jusqu’à la porte gardée au pied du Cerro Pachón, où ils sont arrivés en début de soirée. Une fois les camions sécurisés à l’intérieur du portail, les membres du personnel se sont retirés dans la ville voisine de Vicuña pour la nuit. Le matin, le véhicule transportant la caméra a entamé le trajet de 35 kilomètres (21,7 miles) jusqu’au sommet, accompagné d’une voiture pilote et d’une voiture de queue. Conduisant lentement et prudemment sur la route de terre sinueuse, le camion-caméra a atteint le sommet en cinq heures environ. Les autres camions se sont rendus au sommet au cours des deux jours suivants, selon un horaire visant à minimiser les perturbations pour les autres véhicules circulant sur la montagne.
À son arrivée dans le bâtiment de l’observatoire, la caméra a été immédiatement déchargée dans la zone de réception au 3e niveau et transportée dans la salle blanche de l’observatoire, qui offre un environnement contrôlé sans contaminants atmosphériques. Là, elle a été inspectée par l’équipe de mise en service de l’observatoire Rubin et déclarée visiblement intacte. L’équipe a également téléchargé les données des enregistreurs de données et vérifié que la caméra n’avait pas subi de contraintes inattendues. « Notre objectif était de nous assurer que la caméra non seulement survivrait, mais qu’elle arriverait en parfait état« , a déclaré Kevin Reil, scientifique de l’observatoire Rubin. « Les premières indications, notamment les données recueillies par les enregistreurs de données, les accéléromètres et les capteurs de chocs, suggèrent que nous avons réussi« .
La caméra LSST est le dernier composant majeur du Simonyi Survey Telescope de l’Observatoire Rubin à arriver au sommet. Après plusieurs mois de tests dans la salle blanche de l’observatoire, la caméra sera installée sur le télescope avec le miroir primaire de 8,4 mètres et le miroir secondaire de 3,4 mètres nouvellement revêtus. Une étape importante vient donc d’être franchie alors que la caméra LSST et l’observatoire Rubin se rapprochent du début de leur incroyable mission.
En France, plusieurs entités du CNRS1 ont contribué à la conception, à la construction et à l’optimisation du plan focal unique de la caméra. Les équipes du CNRS ont également conçu le système de changeur de filtres qui permet à la caméra d’observer la lumière depuis le proche ultraviolet jusqu’au proche infrarouge. Enfin, le Centre de Calcul de l’IN2P3 (CNRS) stockera l’ensemble des images prises par la caméra et traitera 40% de ses images brutes.
Centre de Calcul de l’IN2P3 (CNRS), Centre de Physique des Particules de Marseille (CNRS / Aix-Marseille Université), Laboratoire Astroparticule et Cosmologie (CNRS / CEA / Université Paris Cité / Observatoire de Paris), Laboratoire d’Annecy de Physique des Particules (CNRS / Université Savoie Mont-Blanc), Laboratoire de Physique de Clermont Auvergne (CNRS / Université Clermont Auvergne), Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (CNRS / Université Grenoble Alpes), Laboratoire de Physique Nucléaire et de Hautes Énergies (CNRS / Sorbonne Université / Université Paris Cité), Institut de Physique des 2 Infinis de Lyon (CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1), Laboratoire de Physique des 2 Infinis Irène Joliot-Curie (CNRS / Université Paris-Saclay / Université Paris-Cité) et Laboratoire Univers et Particules de Montpellier (CNRS / Université de Montpellier). ↩︎
Les courants scintillants d’étoiles autour de la Voie lactée pourraient apporter des réponses à l’une des plus grandes questions que nous nous posons sur l’Univers : qu’est-ce que la matière noire ? Grâce à des images prises au travers de six filtres de couleur montés sur la plus grande caméra jamais construite pour l’astronomie et l’astrophysique1, le prochain relevé LSST (pour Legacy Survey of Space and Time) de l’Observatoire Rubin révélera des courants stellaires inédits au-delà de la Voie lactée, ainsi que les effets de leurs interactions avec la matière noire.
Aussi fascinants que les rivières qui scintillent au soleil, les courants stellaires tracent des arcs étincelants à travers et autour de notre galaxie, la Voie lactée. Les courants stellaires sont composés d’étoiles qui étaient à l’origine liées au sein d’amas globulaires ou de galaxies naines mais qui ont été perturbées par les interactions gravitationnelles avec notre galaxie et ont été étirées jusqu’à former des “traînées d’étoiles”.
Mais celles-ci montrent souvent des signes de distorsion et les scientifiques soupçonnent que dans de nombreux cas, c’est la matière noire qui est en cause. L’Observatoire Rubin, financé conjointement par la National Science Foundation (NSF) et le ministère américain de l’énergie (DOE), fournira bientôt une multitude de données permettant de mieux comprendre les courants stellaires, la matière noire et leurs interactions complexes.
La matière noire représente 27 % de l’Univers mais elle ne peut pas être observée directement et les scientifiques ne connaissent pas exactement sa composition. Pour en savoir plus, ils utilisent diverses méthodes indirectes pour étudier sa nature. Certaines, comme le lentillage gravitationnel faible, permettent de cartographier la distribution de la matière noire à grande échelle dans l’Univers. L’observation des courants stellaires permet aux scientifiques de sonder un aspect différent de la matière noire car ils mettent en évidence l’empreinte des effets gravitationnels de la matière noire à petite échelle.
Situé au Chili, l’Observatoire Rubin utilisera, à partir de la fin de l’année 2025, un télescope de 8,4 mètres équipé de la plus grande caméra numérique au monde pour effectuer durant dix ans un relevé de l’ensemble du ciel de l’hémisphère sud. Les données obtenues sur la base d’images prises à travers six filtres de couleurs différentes, permettront aux scientifiques d’isoler plus facilement les courants stellaires au sein et au-delà de la Voie lactée et de les analyser à la recherche de signes de perturbation causées par la matière noire. “Je suis très enthousiaste à l’idée d’utiliser les courants stellaires pour en savoir plus sur la matière noire”, a déclaré Nora Shipp, post doctorante à l’université Carnegie Mellon et co-responsable du groupe de travail sur la matière noire dans le cadre de la collaboration Rubin Observatory/LSST Dark Energy Science Collaboration. “Grâce à Rubin, nous pourrons utiliser les courants stellaires pour comprendre comment la matière noire est distribuée dans notre galaxie, des plus grandes aux plus petites échelles”.
Il semblerait que la Voie Lactée soit englobée dans un halo sphérique de matière noire, composé lui-même de sous-halos plus petits. Ces derniers interagissent avec d’autres structures, perturbant leur dynamique gravitationnelle et modifiant leur apparence. Dans le cas des courants stellaires, les résultats des interactions avec la matière noire apparaissent sous la forme de plis ou de lacunes dans les traînées stellaires.
Rubin fournira des images tellement précises qu’elles permettront aux scientifiques d’identifier et d’analyser des irrégularités très subtiles dans les courants stellaires, d’en déduire les propriétés des amas de matière noire de faible masse qui en sont à l’origine et même de préciser de quels types de particules ces amas sont constitués. “En observant les courants stellaires, nous pourrons prendre des mesures indirectes des amas de matière noire de la Voie lactée jusqu’à des masses plus faibles que jamais, ce qui nous donnera de très bonnes contraintes sur les propriétés des particules de la matière noire”, a déclaré Nora Shipp.
Les courants stellaires situés dans les régions extérieures de la Voie lactée sont des candidats particulièrement intéressants pour l’observation des effets de la matière noire car ils sont moins susceptibles d’avoir été affectés par des interactions avec d’autres parties de la Voie lactée, interactions qui pourraient brouiller les pistes. Rubin sera en mesure de détecter les courants stellaires à une distance environ cinq fois supérieure à celle que nous pouvons observer actuellement, ce qui permettra aux scientifiques de découvrir et d’observer une toute nouvelle population de courants stellaires dans les régions extérieures de la Voie lactée.
Les courants stellaires sont difficiles à distinguer des nombreuses autres étoiles de la Voie lactée. Pour les isoler, les scientifiques recherchent des étoiles présentant des propriétés spécifiques qui indiquent qu’elles appartiennent probablement à des amas globulaires ou à des galaxies naines. Ils analysent ensuite le mouvement ou d’autres propriétés de ces étoiles afin d’identifier celles qui appartiennent à un même courant stellaire.
“Les courants stellaires sont comme des colliers de perles dont les étoiles suivent la trajectoire de l’orbite du système et ont une histoire commune”, a déclaré Jaclyn Jensen, candidate au doctorat à l’université de Victoria, qui prévoit d’utiliser les données du relevé LSST de l’Observatoire Rubin pour ses recherches sur les progéniteurs des courants stellaires et leur rôle dans la formation de la Voie lactée. “En utilisant les propriétés de ces étoiles, nous pouvons obtenir des informations sur leur origine et sur le type d’interactions que le flux a pu subir. Si nous trouvons un collier de perles avec quelques perles éparpillées à proximité, nous pouvons en déduire que quelque chose est venu briser le fil”.
Dotée de 3200 mégapixels, la caméra est équipée de six filtres de couleur dont un filtre ultraviolet, notamment pour les scientifiques spécialistes des courants stellaires comme Nora Shipp et Jaclyn Jensen. Ce filtre ultraviolet fournira des informations essentielles sur l’extrémité bleu-ultraviolet du spectre lumineux, ce qui permettra aux scientifiques de distinguer les différences subtiles et de démêler les étoiles d’un courant stellaire de celles qui leur ressemblent dans la Voie lactée. Dans l’ensemble, Rubin fournira aux scientifiques des milliers d’images profondes prises à travers les six filtres, ce qui leur permettra d’avoir une vision plus claire que jamais des courants stellaires.
L’avalanche de données que fournira Rubin inspirera également de nouveaux outils et de nouvelles méthodes pour isoler les courants stellaires. Comme le fait remarquer Nora Shipp, “à l’heure actuelle, l’identification à l’œil nu des courants potentiels est un processus qui demande beaucoup de travail. Le grand volume de données fourni par Rubin offre une occasion passionnante de réfléchir à de nouveaux moyens plus automatisés d’identifier les courants”.
Cette approche statistique des courants stellaires est justement ce qui motive Marine Kuna (photo ci-contre), maître de conférence au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble (LPSC, CNRS, Université Grenoble Alpes) et responsable du projet Stellar Stream au sein de la LSST Dark Energy Science Collaboration. “La plupart des courants stellaires ont été découverts dans la dernière décennie. Leur étude est donc une discipline nouvelle et nous commençons à peine à envisager tous les moyens statistiques pour extraire les empreintes laissées par la matière noire” explique t-elle. “Nous allons pouvoir combiner tous ceux observés par Rubin et réduire les incertitudes jusqu’à avoir suffisamment de contraintes pour tester les modèles.” Une méthode inspirée de son expérience en physique des particules sur l’accélérateur LHC où c’est l’analyse de millions d’événements avec la meilleure précision possible qui permet d’observer une particule comme le boson de Higgs.
Grâce à la quantité inégalée d’images enregistrées, Rubin devrait permettre de détecter dix fois plus d’étoiles qu’avec les autres instruments scientifiques. “La matière noire est l’une des plus grandes énigmes actuelles en physique fondamentale” rappelle Marine Kuna, “il faut donc s’attaquer au problème par tous les côtés, et particulièrement par ses effets gravitationnels”. Et rajoute : “C’est en effet sa seule interaction confirmée à ce jour, Rubin nous permettra de la sonder par de multiples moyens.”
Le système robotisé qui permet à la caméra de prendre des images en différentes couleurs a été conçu par les équipes de cinq laboratoires de l’IN2P3 (CNRS). ↩︎