Le relevé effectué par l’Observatoire Vera C. Rubin sera le plus profond et le plus vaste jamais réalisé. Il permettra de cartographier le ciel avec une précision encore jamais égalée.
Le relevé LSST (pour Legacy Survey of Space and Time) de l’Observatoire Rubin permettra aux scientifiques de cartographier la structure à grande échelle de l’Univers avec une précision inégalée. Grâce à son large champ de vision et à sa haute résolution, les infimes distorsions de la forme des galaxies causées par la matière noire seront détectables, ce qui permettra aux scientifiques de cartographier la matière noire et d’explorer le bras de fer cosmique qui l’oppose à l’énergie noire.
Tout ce que nous connaissons (les galaxies, les étoiles, les planètes, nos familles, nos amis et même nos animaux de compagnie) ne représente en effet que 5 % de l’Univers. Les 95 % restants sont constitués de composantes mystérieuses que les scientifiques appellent énergie noire (pour 68 %) et matière noire (pour 27 %). De quoi s’agit-il et comment influencent-elles la structure et l’évolution de l’Univers ? Des chercheurs comme Andrés Alejandro Plazas Malagón, chargé d’opération pour le projet Rubin au SLAC National Laboratory et d’activités de calibration et d’aide à la communauté scientifique à l’Observatoire Rubin, espèrent répondre à ces questions grâce au prochain relevé LSST. Grâce à son immense couverture du ciel et à sa capacité à détecter des objets peu lumineux, LSST fournira aux scientifiques l’énorme quantité de données nécessaires pour élucider ces mystères, et d’autres encore, de l’Univers.
Dans les années 1970, l’astronome américaine Vera C. Rubin a fourni les preuves les plus tangibles de l’existence d’une matière « noire » invisible dans l’Univers. Cette matière est qualifiée de « noire » parce que c’est à peu près tout ce que nous savons d’elle, en dehors de son influence gravitationnelle sur les étoiles et le gaz dans les galaxies. Il s’agit d’une substance dans l’Univers qui a une masse mais qui n’émet pas de lumière et ne la réfléchit pas. Cette matière invisible représente environ 80 % de l’ensemble de la matière et ses propriétés influent sur l’évolution de l’Univers, sa formation et la croissance des galaxies, ainsi que leur regroupement pour former de longs filaments qui constituent la structure que les scientifiques appellent la toile cosmique.
Mais on pourrait imaginer la structure à grande échelle de l’Univers comme un jeu de tir à la corde cosmique entre la matière noire et une force insaisissable connue sous le nom d’énergie noire. « On peut considérer que la matière noire cherche à construire les structures cosmiques, tandis que l’énergie noire essaie de les diluer et de les écarter« , explique Plazas Malagón. La plupart des scientifiques pensent que l’énergie noire est le moteur de l’expansion accélérée de l’Univers et que son comportement est décrit par un paramètre connu sous le nom de constante cosmologique. Cette explication fait l’objet d’un consensus car elle correspond aux données recueillies jusqu’à présent. Cependant, bien que la constante cosmologique soit actuellement un élément fondamental des équations qui décrivent l’Univers, les chercheurs tentent toujours de déterminer sa valeur exacte et de savoir si elle explique l’énergie noire.
Le calcul de la constante cosmologique, qui permet d’imposer des contraintes strictes aux équations décrivant l’Univers, est un effort qui se situe à l’avant-garde de la cosmologie. Le télescope Rubin va permettre d’effectuer des mesures plus précises de cette constante en ouvrant de nouvelles possibilités d’utilisation d’un effet appelé « lentille gravitationnelle faible » afin d’explorer l’interaction complexe entre la matière noire et l’énergie noire.
Les cosmologistes utilisent l’effet de lentille faible pour déduire l’agrégation de la matière en observant la façon dont sa gravité courbe la lumière. Mais contrairement à l’effet de lentille gravitationnelle forte, qui produit souvent de magnifiques arcs géants autour des amas de galaxies, l’effet de lentille faible produit des effets moins spectaculaires : de minuscules distorsions de la lumière provenant de galaxies lointaines. Si l’effet de lentille faible peut se produire à la périphérie d’un système de lentille forte, il existe aussi partout dans l’Univers, car la lumière des galaxies d’arrière-plan se fraye un chemin à travers les filaments de galaxies qui relient les amas et les superamas de galaxies, qu’on appelle la toile cosmique. « Si la lentille forte revient à regarder à travers le fond d’un verre à vin, la lentille faible revient à regarder à travers une grande fenêtre très subtilement déformée » explique Theo Schutt’s, doctorant à l’Université de Stanford et qui collabore avec Plazas Malagón.
Néanmoins, les distorsions des galaxies lointaines sont trop faibles pour être mesurées en observant une seule galaxie. Même avec des données provenant de milliers de galaxies, les scientifiques ne peuvent pas dire si les formes observées des galaxies prises individuellement sont leurs formes réelles ou si elles ont été déformées par un faible effet de lentille. Pour véritablement saisir cet effet de lentille faible, ils ont besoin d’un grand ensemble de données pour calculer la distorsion collective sur l’ensemble du ciel observable. Grâce à sa capacité à observer d’immenses zones du ciel tout en étant capable de voir des galaxies très faibles et lointaines, Rubin sera le premier observatoire de l’histoire à fournir des données non pas sur des millions, mais sur des milliards de galaxies.
L’Observatoire Rubin sera un instrument de premier plan pour l’astronomie et l’astrophysique de pointe lorsqu’il sera opérationnel en 2025. Grâce à un télescope de 8,4 mètres équipé de la plus grande caméra numérique au monde, il scrutera l’ensemble du ciel de l’hémisphère sud deux fois par semaine pendant dix ans, offrant ainsi la vue la plus complète de l’Univers que nous ayons jamais obtenue. L’Observatoire Rubin est financé conjointement par la National Science Foundation (NSF) et le département américain de l’énergie (DOE). Rubin est un programme du NOIRLab de la NSF, qui, avec le SLAC National Accelerator Laboratory, exploitera Rubin.
Les relevés actuels, tels que le Dark Energy Survey, le Hyper Suprime Cam et le Kilo-Degree Survey, permettent déjà d’élucider certains des mystères de la matière noire et de l’énergie noire. Mais il y a un choix à faire, explique Plazas Malagón, entre un relevé large et un relevé profond, imposé par des facteurs tels que la taille de la caméra et sa résolution. La caméra LSST de l’Observatoire Rubin possède un champ de vision large et une haute résolution inégalés qui permettent aux astronomes et aux astrophysiciens de bénéficier du meilleur des deux mondes. En fait, l’Observatoire Rubin a été conçu dès le départ pour aider les scientifiques à cartographier la matière noire dans l’Univers en utilisant la lentille gravitationnelle de milliards de galaxies lointaines.
« Avec Rubin, nous allons tout avoir« , a déclaré Plazas Malagón. « Nous allons mesurer les propriétés d’un bien plus grand nombre de galaxies que ce dont nous disposons actuellement, ce qui nous donnera la puissance statistique nécessaire pour utiliser la lentille faible afin de cartographier la distribution de la matière noire et d’étudier l’évolution de l’énergie noire dans le temps. »
Il est également possible que Rubin apporte de nouvelles preuves d’autres explications des phénomènes observés dans notre Univers, au-delà des théories les plus courantes de la matière noire et de l’énergie noire. « L’énergie noire est un concept qui est bien décrit par la théorie de la gravité d’Einstein, la relativité générale, sur laquelle il y a un consensus« , a déclaré Plazas Malagón « mais Rubin et le LSST nous permettront également d’explorer des alternatives à cette théorie, ce qui est également extrêmement intéressant.«
Plus d’informations
L’Observatoire Rubin est une initiative conjointe de la National Science Foundation (NSF) et du Département de l’Energie américain (DOE). Sa mission principale est de réaliser le relevé LSST, en fournissant un ensemble de données sans précédent pour la recherche scientifique soutenue par les deux agences. Rubin est exploité conjointement par le NOIRLab de la NSF et le SLAC National Accelerator Laboratory (SLAC). NOIRLab est géré pour la NSF par l’Association des universités pour la recherche en astronomie (AURA) et SLAC est géré pour le DOE par l’Université de Stanford. Nous remercions également un certain nombre d’organisations et d’équipes internationales pour leurs contributions supplémentaires.
Lien vers le texte original (en anglais)
L’étude de la matière noire et de l’énergie noire est au coeur du programme de cosmologie de l’IN2P3 car elle soulève des questions fondamentales en physique : existence de nouvelles particules, modifications de la théorie de la gravité, etc. L’implication de l’IN2P3 dans LSST s’appuie sur les travaux pionniers des équipes de l’institut sur les supernovae de type Ia et les oscillations acoustiques des baryons.

Les effets de la structure à grande échelle de l’Univers sur la lumière des galaxies lointaines. ©Rubin Observatory/NSF/AURA/J. Pinto
L’énergie noire agit, avec la matière noire, sur la formation des grandes structures de l’Univers observables par l’effet de lentille gravitationnelle. Parallèlement à l’observation des supernovae, c’est donc un deuxième champ d’investigation qui s’ouvre aux équipes de l’IN2P3. Combiné à la lumière de l’univers lointain, il permettra de dresser un tableau cosmologique complet, grâce à la profondeur et à la couverture du ciel sans précédent du relevé LSST. “Les chercheuses et chercheurs de l’IN2P3 s’attèlent à préparer l’analyse des données massives du LSST, ce qui n’est déjà pas une mince affaire mais aussi à combiner les résultats venus des différentes sondes cosmologiques analysées (lentilles, supernovae, amas de galaxies, etc) explique Cyrille Doux, chercheur au LPSC (CNRS, Université Grenoble Alpes) et adjoint scientifique de Rubin-LSST France, “c’est ce croisement qui permettra véritablement de mieux comprendre à la fois la matière et l’énergie noires !” L’IN2P3 est notamment partie prenante de la collaboration scientifique LSST DESC qui effectuera des mesures de haute précision des paramètres cosmologiques fondamentaux à l’aide des données LSST. Hormis les groupes de recherche (allant de la théorie à l’analyse de données en passant par l’instrumentation), l’IN2P3 participe également au développement et à la construction de divers sous-systèmes de la caméra de l’observatoire Rubin et au système de traitement des images. Au total, neuf laboratoires de l’Institut et le centre de calcul sont directement impliqués dans ce projet incluant une variété de profils (chercheurs, ingénieurs, techniciens, administratifs) et une diversité de métiers (mécaniciens, électroniciens ou encore ingénieurs en informatique).
Contacts :
- Cyrille Doux, adjoint scientifique de Rubin-LSST France : cyrille.doux@lpsc.in2p3.fr
- Gaëlle Shifrin, responsable communication LSST France : gshifrin@in2p3.fr